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Moha Souag, « Nos plus beaux jours »

Par. Lamia Berca-Berrada

Moha Souag, un écrivain dont la discrétion égale la profondeur et la sincérité, offre avec son dernier livre publié aux éditions du Sirocco, un voyage émouvant. La rencontre de 2 femmes libres, vibrantes de désir. Une plongée au coeur de l’énergie libératrice des corps dansants, et d’un formidable désir d’art et de culture. Un bref récit mis en mots par le regard humaniste d’un écrivain dont la vision témoigne à la fois d’un homme amoureux de la beauté d’une culture ancestrale, et d’un être profondément engagé dans les valeurs d’ouverture que porte la modernité.

C’est en effet du Maroc toujours, dont il est question dans l’œuvre de Moha Souag. D’un Maroc au croisement de ceux qui l’auraient subi, et de ceux qui se préparent à le rêver autrement. D’une réalité qui veut prendre corps dans la jonction du passé et du présent, avec les désirs de 2 femmes vibrantes de désir, auxquelles il prête un tempérament de lutteuses aux espoirs vivaces, et aux corps bien vivants…

Deux portraits émouvants de femmes libres…

Dans ses différents écrits, -romans ou nouvelles-, le réalisme de son écriture puise dans la sincérité de ses élans une sève peu commune. Avec ce court roman récemment édité par les éditions du Sirocco, et dont il inaugure la toute nouvelle collection de romans, un héros-narrateur plonge dans les méandres de deux vies de femme dont le lien va se tisser et se tendre peu à peu.

Ces parcours de femmes accompagnent en parallèle un parcours en train qu’il effectue de Casablanca à Marrakech. Au-delà des paysages va défiler devant nous une conscience elle-même en mouvement, mue par des interrogations et des prises de conscience salvatrices, que suscite l’évocation d’un pays dont on interroge également la marche en avant, que freinent des lenteurs et des réalités de toutes sortes…

C’est d’art, de création, et de culture, dont il va être question. Le narrateur est journaliste, et dans ce wagon de train, c’est une chorégraphe fraîchement rentrée de l’étranger qu’il rencontre, Mouna. Quant à la femme qui à Marrakech l’attend, elle est cette célèbre cheikhate arrivé au faîte de son art et au déclin de sa vie qu’il se prépare à aller interviewer…

Comme toujours quand il est question de se confronter à l’autre alors qu’on est soi-même parvenu à un âge certain, c’est au travers de la jeunesse de l’une et de la maturité vieillissante de l’autre que le narrateur trouve la voie, et la voix de son propre cheminement, bâti à coup de réflexions un brin désabusées mais ô combien lucides, et d’élans lyriques et généreux pour célébrer tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à la lumière de l’art ou à celle de la nature… Un homme qui place d’emblée l’objectif sur un destin de femme que la vie aurait pu mille fois brisées, mais qu’un rêve aura guidé farouchement, et les rêves, on le sait, sont des étoiles qui ne meurent jamais en chemin…. El Haja Halouma.

Les brimades du quotidien dialoguent par-delà les époques avec les injustices commises au nom des normes sociales. mariée jeune, cassée, brisée dans ses rêves par ses parents d’abord, puis par son mari ensuite, la jeune Fadela aura secrètement voué sa vie à Abdel-Halim Hafez avant de le consacrer ensuite entièrement à son art, désespérant de pouvoir un jour rencontrer « le rossignol de l’Orient » qui avait, sans le savoir, tant adouci ses peines…

Mouna, jeune chorégraphe pleine d’avenir, fait entendre en contrepoint l’idée d’une liberté acquise, assumée avec une audace tranquille. Libre dans son corps, dans ses désirs, dans ses colères comme dans ses réflexions. Réaliste par nature, et indignée par logique. « elle n’avait pas besoin d’adhérer à un parti politiqe pour se rendre compte qu’il y avait des riches et des pauvres et que le plus pauvre de tous les domaines était le secteur culturel. » Sachant depuis toujours ce que la liberté et la danse ont en partage. « les peuples révoltés dansent. Les peuples libérés dansent. »

Un hommage à la liberté, à travers l’image de la danse…

C’est en effet autour de ce motif de la danse, entrelaçant modernité du travail chorégraphique et traditions ancestrales des cheikhates, si injustement méprisées, que s’exprime une véritable réflexion sur ce qui peut mouvoir un peuple dans sa chair. Contrepoids évident à toute forme d’obscurantisme religieux et sectaire. A toute négation de l’être et du vivant. « Il n’y a pas de peuple sans danse ni musique. Le monde s’émeut devant la danse. Un peuple triste danse, un peuple révolté danse, un peuple joyeux danse ; le peuple danse quand les discours s’épuisent et quand les langues perdent leurs mots. Je me dis qu’aucune de nos chaînes de télévision n’oserait accréditer un envoyé spécial au milieu de ces foules qui se réapproprient leur corps, leur liberté dans la danse et la joie d’avoir vaincu leur peur ancestrale. » Et de là ce constat. « l’oppression d’antan et la censure d’aujourd’hui faisaient bouger les corps. »

Dans ce roman la place donnée au corps dansant se lit d’abord comme un hommage rendu à la liberté de ceux qui brisent leurs chaînes morales, intérieures, qui rompent avec les embrigadements des diktats pervers d’une société placardée d’injonctions négatives, en s’allégeant ainsi « de tous les péchés et interdits de penser ceci, de dire cela, de faire ceci et de ne pas faire cela. »

Le récit est bien celui d’un voyage. D’une remontée par soubresauts dans le temps, d’une exploration incertaine du présent, et d’une interrogation ouverte vers l’avenir. Un voyage qui nous mène au-delà des hasards de ces croisements entre personnages, dont Moha Souag a su habilement tirer parti pour créer, comme en musique, une partition où alternent une tonalité majeure et mineure.

Un voyage nourri des court-circuits entre l’image fantasmatique de Abdelhalim Hafez qui surplombe le récit initiatique de Fadela comme un doux rêve, ou de l’image tutélaire du pendant que constitue la trajectoire de Lahcen Zed dans le récit de Mouna, -personnage en lequel chacun de nous saura reconnaître le grand danseur et chorégraphe Lahcen Zinoun- nourri de ces figures, donc, et des aléas de la réalité historique. celle de la Guerre des sables, puis d’un premier attentat, -que l’on suppose être l’attentat de Skhirat-, et ensuite d’un second, -celui de Marrakech en avril 2011.

Le voyage, semble-t-il, n’a d’autre objectif que de nous ramener au centre de l’énergie des corps, qui possèdent l’intelligence innée de la vie. « Le corps, honni par les détracteurs de l’art, cet instrument du diable », « cet outil du mal que Dieu a créé à son image et que Satan manipulait, est bien « notre seul support, la preuve de notre existence en chair et en os mais aussi le nid de notre âme éthérée. »

C’est là l’image sur laquelle s’achève justement le récit. cette extraordinaire scène dansée par El Haj Halouma au crépuscule de sa vie, qui est aussi hymne au renouvellement du monde à travers le métissage des générations, des genres et des formes…

C’est de cette énergie, de ce souffle créateur, de cette foi retrouvée entre le mariage réussi des sources vivaces de la tradition cheikhate d’El Haja Halouma et de l’ouverture aux expressions nouvelles auxquelles l’initie la jeune Mouna, en reprenant à son compte le chemin ouvert par le Maître Lahcen Zed, que le Maroc évoqué par Moha Souag s’invite à prendre le train en marche. Du moins s’il n’est pas stoppé par le vacarme de ces bombes silencieuses comme seul le terrorisme idéologique sait en produire…

Les allusions parcourent le récit pour rappeler ici et là que la menace du conservatisme des pensées rampantes ou de l’ordre moral veille, en sourdine. Or ces dogmes frileux se voient balayés par cette réflexion incandescente de Mouna. « tout est danse, la limite entre le licite et l’illicite est l’habillement que chacun fait porter à sa danse. « Et Moha Souag livre dans le même esprit un récit mû par un élan lyrique, tout en émotion sincère, comme une danse qui fait exulter le sens retrouvé de la liberté…

« (Je suis) de la génération saumon, celle qui remonte le cours de l’histoire pour se reproduire et mourir à la source, pour retrouver la pureté originelle perdue dans les dédales d’une mémoire incertaine. Pourtant, à l’arrivée, il manque un chaînon, personne n’a jamais su lequel. Une génération jamais régénérée, exposée à la tourmente de l’histoire ; arbre arraché au sol natal, fruits prématurés éparpillés par la tempête de l’oppression, aplati à jamais sous la peur et le mensonge mais étincelle d’un bois d’espoir entretenue par le souffle vivace d’une culture moderne, mémoire ondée que le reflux n’a jamais éloignée. »